La mort de l’Abbé Quille

Mes frères,

Un grand et irréparable malheur vient d’arriver au couvent de Belle-Fontaine et j’ai le pénible devoir de vous en faire part.

C’est la mort de l’Abbé Quille.

Mardi dernier, pendant que l’Abbé Nédiction donnait le salut, l’Abbé Quille est tombé dans les bras du Père Clus pour ne plus se relever. Vous jugez de l’émotion générale. Tous les Révérends Pères s’agitaient et pleuraient ; un seul était joyeux, c’était le Père Fide. On alla chercher le Père Chlorure et le Père Manganate, pensant que leurs efforts pourraient ranimer l’Abbé Quille. Mais le Père Emptoire déclara qu’il n’y avait plus d’espoir.

Au milieu des lamentations, on se prépara donc pour la cérémonie funèbre, pendant que le Père Sonnage, le plus grand de la communauté, sonnait les cloches à toute volée. On se dirigea vers la chapelle, et comme il n’y avait pas de chaire, le Père Roquet monta sur le Père Choir. Il fut suivi de l’Abbé Gueule, qui parla avec véhémence. Puis le Père Cepteur fit la quête.

Pendant que l’Abbé Molle chantait le De Profundis, une grande discussion s’éleva sur le chemin à suivre pour aller au cimetière. Le Père Clus et l’Abbé Cane ne voulaient pas quitter la grand-route, tandis que le Père Illeux voulait monter tout droit vers la montagne, ainsi que le Père Dreau et l’Abbé Casse, affectionnaient les chemins escarpés. Le Père Plexe hésitait, tandis que le Père Nicieux et le Père Vers animaient la discussion, ainsi que l’Abbé Ration. Il fallut que le Père Spicace et le Père Suasif prêchassent l’apaisement, mais seule la ténacité du Père Sistant put rétablir l’ordre. Le Père Turbateur, le Père Sécuteur et le Père ltoine eux-mêmes durent renoncer à semer la discorde, pendant que l’Abbé Attitude était de l’avis de tout le monde ; mais le Père San, avec sa tête de Turc, ne voulait rien entendre.

Enfin on arriva au cimetière. Là, devant la fosse que le Père Forant avait creusée, le Père Pétuel et le Père Manent parlèrent de l’éternité, tandis que tout le monde pleurait, surtout le Père Clus, qui perdait en l’Abbé Quille son seul et unique soutien. À la fin, on glissa la pierre tombale préparée par l’Abbé Tonneuse.

Ce fut un bien triste cortège qui reprit le chemin du couvent, derrière le Père Pendiculaire, courbé en deux par la douleur. Le Père Du fut retrouvé. À l’arrivée au couvent, l’Abbé Quée prépara le repas, pendant que le Père Uquier rasait tout le monde. Le Père Nod et l’Abbé Nédictine servaient à boire. Le repas fut mélancolique. Le Père Sil avait perdu toute sa fraîcheur. L’Abbé Chamel n’avait jamais paru d’une telle blancheur ; quant à l’Abbé Terave, il était de toutes les couleurs.

Je suis convaincu, mes frères, que vous prendrez part à notre douleur, et je vous prie de croire aux sentiments religieux de

l’Abbé Tise